mardi 8 novembre 2011

Arícia Mess, noire sous les couleurs


"Black is Beautiful" n'est pas seulement un beau clip réalisé avec une remarquable économie de moyens, c'est aussi une relecture de Marcos Valle qui parvient à exprimer ce que voulait dire son auteur, sans y parvenir. Cette reprise est l'œuvre d'Arícia Mess et le titre figure sur son deuxième album, Onde Mora o Segredo, sorti l'an dernier. Ce nouveau clip vient juste d'être mis en ligne.

Un seul plan fixe. Un fond noir et un buisson gris pour seul décor, Arícia Mess apparaît maquillée de bandes rouges et blanches. On ne voit que son visage et ses épaules. Et elle chante. L'image exerce une vraie fascination et, même si vous n'avez jamais entendu parler de cette artiste, devrait vous donner la curiosité de cliquer sur le triangle : "play" !


 Onde Mora o Segredo est sorti l'an dernier. C'est seulement le deuxième d'Arícia Mess. Elle y creuse toujours la même veine que sur Cabeça Coração, sorti dix ans plus tôt. Une musique empreinte de funk, afro-brésilienne moderne en quelque sorte. Du coup, de ce premier album, nous parlerons prochainement. Aujourd'hui, c'est "Black is Beautiful".

On sait bien que reprendre la chanson d'un autre peut la décentrer, en changer le sens. C'est même ce qui en fait souvent l'intérêt. "Black is Beautiful" est une chanson de Marcos Valle, coécrite comme toujours avec son frère Paulo Sérgio, qui figure sur son album Garra, sorti en 1971. A cette époque, Marcos Valle est déjà au pic de sa gloire. Il a tout ce dont peut rêver un jeune homme qui n'a pas trente ans : les tubes, la richesse, le succès. L'ancien jeune premier de la bossa nova peut même se permettre de devenir hippie. Mais le jeune Marcos est du genre à vouloir le beurre et l'argent du beurre (voire aussi le cul de la crémière). Il est devenu hippie mais continue à composer pour les novelas. Rebelle certes, mais qui veille sur son compte en banque.

"Black is Beautiful" est la déclaration d'amour de Marcos Valle à la beauté noire. Une déclaration ampoulée. Les mauvaises langues rappeleront ce qu'il y avait de malsain, au Brésil, dans cet apprentissage amoureux des jeunes garçons de bonnes familles et combien ces pratiques héritées des temps de l'esclavage bénéficient encore d'une trop grande mansuétude. Bien sûr, ce n'est pas de ça dont parle "Black is Beautiful", Marcos Valle ne vibre pas au souvenir ému des rondeurs de la bonne (le cul de la crémière ?). Il n'est pas du tout question de cela dans ce morceau, aussi maladroit soit-il. On y entend :

"Eu quero uma dama de cor
Uma deusa do Congo ou daqui
Que se integre no meu sangue europeu"

Selon Marcos Valle, l'ambition de "Black is Beautiful" était de provoquer. Mais, en ces années-là, comme nous le voyions déjà hier, le régime militaire imposait sa censure. Même pour un jeune blond à succès, elle pouvait s'abattre comme un couperet. Sur "Black is Beautiful" par exemple, elle l'obligea à changer certaines paroles. Comme l'a expliqué Marcos Valle lui-même, "dans la première version que nous avions écrite, il y avait cette phrase qui disait 'que melhore o meu sangue europeu'. Les censeurs ont dit : 'pourquoi améliorer ? Tu veux introduire un problème racial au Brésil ?'. Alors, on a dû changer les paroles et on a écrit 'qui s'intègre à mon sang européen' ".

Marcos Valle venait de rentrer des Etats-Unis où, toujours en compagnie de son frère, il avait été le témoin fasciné des manifestations du black power et de l'affirmation de fierté qui s'y exprimait. C'est ce qu'il a voulu célébrer ici. Et avant de dire son désir d'une femme de couleur, il dit dans la phrase précédente qu'il vient de croiser tant de blondes horribles dans la rue. Le désir naît aussi d'un rejet. Marcos Valle étant blond lui-même, je laisserais le soin à un psychanalyste d'y déceler un dégoût de soi. Personnellement, j'en doute, d'autant qu'au fond, il se considère lui-même comme assez noir, vous voyez, noir de l'intérieur : "j'ai toujours eu ce côté noir très fort en moi. Toni Tornado et Sandrá de Sa (des chanteurs soul brésiliens, ndla) me disaient : 'toi, tu n'es pas blanc, tu es noir'. Tout le swing, la main gauche, tout ce groove, c'est vraiment un côté noir que j'ai en moi. Au point que quand j'étais aux Etats-Unis, je ne jouais qu'avec des Noirs et des Métis et j'étais merveilleusement bien avec eux".

Marcos et Paulo Sérgio Valle ont effectivement voulu mettre le Brésil face à son propre racisme. Comme l'explique encore Marcos, "nous étions vraiment touchés par la beauté qui se dégageait du mouvement pour le Black Power et nous voulions amener cela au Brésil où il existe un racisme, mais à moitié caché. Elis Regina a également enregistré le morceau et elle en a donné une représentation explosive au Maracanã. Quand Toni Tornado est monté la rejoindre sur scène en faisant le symbole du black power, le poing levé, la police a arrêté tout le monde. Ils n'ont pu être libérés que quand la police a appris que les auteurs de la chanson étaient Marcos et Paulo Sérgio Valle, deux blonds !"

Alors leur intention est des plus louables, chanter une ode au métissage et aux sangs mêlés, mais sa réalisation est empreinte d'une telle maladresse ! C'est pompier, c'est naïf : "Black beauty is so peaceful". Quand j'écoute ça en me disant que certains fans du Marcos Valle ont présenté Garra comme son Sergeant Pepper's !

Heureusement, l'interprétation d'Arícia Mess vient sublimer le morceau et lui donner l'émotion initiale, que les frères Valle avaient souhaité sans pouvoir toutefois bien l'exprimer. Il y a bien là une ode à la beauté noire même si on ne peut plus parler là de célébration des sangs qui se mêlent ! Et tel qu'elle le chante, dans cette version dépouillée, "Black is Beautiful" ressemblerait presque à un standard de la trempe de "Summertime". Et pour avoir signé une telle composition, c'est Marcos Valle qu'on applaudit.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire