mardi 1 mars 2011

Le Loose n'est pas la lose (2/2), ou de la nécessité de "cultiver assidûment sa décontraction"...


L'inconvénient d'une banale faute d'orthographe, un o de trop, peut nous faire passer à côté d'une notion essentielle, même si notre culture française n'est pas très à l'aise avec elle, séquelle d'un esprit trop cartésien. En écrivant loser avec deux o, on ignore que loose, en anglais, signifie détendu, relâché.

Nous disions hier que le funk est intrinsèquement loose, nous citions Senghor qui évoquait l'abandon nécessaire pour pénétrer le rythme. A sa façon, André Honeir a essayé, fort maladroitement certes, de mettre en avant l'importance de la décontraction dans le swing.
André Hodeir, qui vient d'avoir quatre-vingt-dix ans il y a quelques jours, n'est pas le premier venu. Il est violoniste et compositeur, musicologue et écrivain, il est notamment l'auteur de Hommes et Problèmes du Jazz, l'ouvrage qui nous intéresse aujourd'hui.

N'ayant peur de rien, il y entreprend de définir le swing, il est tout à fait conscient de la difficulté à se confronter à un élément "aussi peu palpable" que celui-ci. Dire que le swing est "une certaine façon de faire vivre le rythme" est un premier pas mais qui ne lui suffit pas. Il va plus loin et s'essaie à le disséquer pour identifier ses cinq éléments constitutifs. Constitutifs et nécessaires : "on verra que la réunion des cinq conditions énumérées est indispensable à une manifestation satisfaisante du phénomène".

"Les conditions optimales dont la réunion aboutit à l’actualisation du swing - sauf cas d’espèce dont je n’affirme pas l’impossibilité théorique, mais que je n’ai jamais rencontré - paraissent être au nombre de cinq. Ce sont :
1. qualité de l’infrastructure ;
2. qualité de la superstructure ;
3. mise en place des valeurs et des accents ;
4. décontraction ;
5. pulsion vitale ;
les trois premières sont d’ordre technique et susceptibles d’être appréhendées rationnellement ; les deux dernières, d’ordre psychophysique, ne peuvent l’être que par l’intuition".

A la pulsion vitale, il consacre une pleine paire de pages mais, loose oblige, c'est uniquement sur la quatrième condition que nous nous attarderons aujourd'hui, cette fameuse décontraction.

"Il est très remarquable que chez les Noirs américains créateurs du jazz, abondent les hommes aptes à une parfaite décontraction neuro-musculaire. (...) De même, il n’est pas exclu qu’un musicien blanc bien doué, s’il cultive assidûment sa décontraction puisse parvenir à jouer avec le relax des grands jazzmen de couleur. Les exemples n’abondent pas".

Son propos me semble hors d'âge, encore trop inscrit dans une vision différencialiste, mais sa prose ampoulée ("sauf cas d’espèce dont je n’affirme pas l’impossibilité théorique", magnifique !) m'amuse beaucoup, même si, je vous l'accorde, ce n'est guère charitable.

En tout cas, fort involontairement, Hodeir aura contribué à enrichir d'un bel oxymore l'attirail lexical du feignant : "s’il cultive assidûment sa décontraction" !!! Même si telle n'était pas son intention et que son style n'est assurément pas... loose !


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