samedi 26 mars 2011

The Dø, farouche et grâcieux comme une biche


Ce fut un coup de cœur immédiat. Vous allez croire que j'ai vécu sur une île déserte depuis quelques années mais, pas trop branché sur la pop et l'indie, je viens seulement de découvrir The Dø, en lisant des critiques et interviews à l'occasion de la sortie de leur nouvel album Both Ways Open Jaws. Critiques élogieuses qui me donnèrent l'envie d'écouter leur musique. A commencer par leur premier album, A Mouthful, disponible à la médiathèque. Et d'enchaîner avec cette nouvelle livraison, histoire de se convaincre définitivement d'aller les découvrir sur scène puisque, simultanément à la lecture des critiques, j'apprenais qu'ils seraient prochainement sur Montpellier. J'étais donc sur le point de casser ma tirelire pour aller voir The Dø ce soir, 26 mars, au Rockstore, près de 30€ tout de même, quand j'apprenais que malheureusement, c'était complet. Allez, la frustration sera vite compensée par le soulagement d'avoir réaliser cette économie de fin de mois et avril me laissera l'embarras du choix pour aller assister à d'autres concerts. 


The Dø est un duo à la scène, couple à la ville, composé de Dan Levy et Olivia Merihlati, d'origine finlandaise, D+O = DO, tout simplement. Un nom simple qui couvre l'infini des possibilités musicales puisque le do est la première et la dernière note de la gamme, son alpha et omega. Un nom qu'on devrait toujours écrire en minuscules, la barre du d rappelant alors celle d'une note de musique. Quant au ø, s'il évoque les langues scandinaves, il n'existe pas en finnois mais représente ici la note sur la portée, si ce n'est que sur un clavier vous ne trouverez pas de barre horizontale en travers d'un o et que, par défaut, c'est cette barre en diagonale qui s'en approche le plus.

Dan et Olivia, outre leur talent, ont le physique avantageux qui leur ouvrirait les couvertures des magazines, si ce genre de considération n'était juste à mille lieues de leurs préoccupations. Mais, à ce propos, avez-vous cherché des images de The Dø à partir de Google ? Âmes sensibles s'abstenir, passés les quelques photos du groupe, on tombe vite sur des biches, voire surtout des dépouilles de biches, trophées de chasseurs. Doe en anglais, signifie biche mais il est étonnant de constater la proportion parmi ces images de biches mortes, tuées, éventrée, pendues. Le rapprochement est peut-être forcé mais, dès lors, je ne peux m'empêcher de retrouver les caractéristiques de cet animal dans la musique de The Dø, gracieuse, fragile, farouche, sauvage... Comme le dit Olivia Perihlati, "il y a un côté animal" dans ce nouvel album. Mais si The Dø devait être une biche, ce serait une biche qui sort les crocs. Le titre Both Ways Open Jaws évoque une sauvagerie animale, celle qui a la gueule ouverte, les crocs ruisselants de bave. "Pendant trois ans, on a aussi pris des coups dans la gueule, on s’est rendu compte que le milieu n’était pas un milieu facile, que des gens avaient les dents longues… D’où, un peu, le titre de l’album : ils ont des dents longues, mais on peut mordre aussi".

The Dø, duo autosuffisant, reclus jusqu'à l'autarcie pour composer et enregistrer sa musique, s'est lancé un nouveau défi pour casser ses habitudes : quitter le cocon de leur studio parisien, leur "do-mi-si-la-do-ré" et s'enfermer dans une vieille maison du Lubéron. Pas n'importe quelle maison non plus, celle de feu Maurice Ronet et sa femme, fille de Charlie Chaplin. Ils décrivent cette aventure dans un entretien-fleuve, vraiment très fleuve, accordé aux Inrocks.

"Dan : On a loué un camion et on est parti dans le sud de la France, et puis on a commencé à enregistrer. On avait aussi besoin de cette coupure, de cette nouveauté. On est partis tous les deux, on a bourré le camion d’instruments et de machines, on ne savait pas où on allait, s’il y avait de l’électricité, si les pièces allaient sonner. C’était dans le Lubéron, c’était une maison gigantesque, l’électricité, c’était n’importe quoi, il n’y avait qu’une prise qui marchait….
Olivia : On a même failli ne pas y arriver, avec le chemin escarpé, le camion rempli. Il y avait une crevasse immense…
Dan : On s’est dit qu’on ne pourrait jamais arriver en bas… Mais tout ça fait partie de The Dø. On n’aime pas le luxe, on aime se mettre en danger. Le fait de se dire qu’on prend tout de notre studio, qu’on prend un camion et qu’on va enregistrer un album alors que personne ne nous a renseignés sur l’endroit, c’est un risque".

Bien sûr, ils ont pu décharger leur camion, composer, enregistrer. Et, franchement, il y a pire que le Lubéron pour trouver l'inspiration. Surtout dans une maison immense ayant appartenu à Maurice Ronet.



Leur musique possède une évidence incroyable. J'étais tenté d'écrire que ce couple était touché par la grâce. Cela aurait été sans doute un peu exagéré. Disons plutôt qu'ils sont inspirés. Incroyablement inspirés. Je n'ai même pas envie de savoir si on les décrit indie, électro-pop ou que sais-je encore... Ensemble, ils ont trouvé un style original qui a synthétisé des pans entiers de musiques les plus diverses, certaines vieilles de plus d'un siècle. Leur premier album s'ouvrait sur "Playground Hustle", avec fifre et tambour, et tout de suite m'évoquait un genre de musique en voie de disparition, celle de quelqu'un comme Otha Turner, ce bluesman du Mississipi qui était un des derniers représentants de ce type de fife and drums, où la flûte n'est guère qu'une tige de bambou et qu'il appelait tout bonnement cane. Puis le morceau évolue et prend d'autres chemins, des effets viennent troubler le son, l'emmener ailleurs. De même, sur ce nouvel album, "The Calendar" pourrait avoir été inspiré par les field recordings country-folk d'Alan Lomax, mais au lieu de sembler désuet, c'est d'une fraîcheur inouïe. Et, là encore, la chanson suit sa voie sans se cantonner à cette seule influence.


Quand vous vous présentez en duo, la voix a sacrément intérêt à être à la hauteur, capter l'attention. Olivia Merihlati a trouvé sa voix. Si sur "The Calendar", elle semble surgir du fond des âges, ailleurs, on lui trouvera des intonations plus contemporaines, laquelle pourrait, au détour d'une chanson, nous rappeler celle de Björk. Ailleurs encore, si elle se lance dans une sorte de rap, c'est à M.I.A. qu'on pensera. Sur les ballades, sa voix sera sur un fil, mince filet au bord de la rupture, très haut et fragile, comme sur ce sublime "Dust It Off" qui ouvre ce nouvel album. Elle incarne la musique de The Dø, tout simplement.

Ce qui m'a frappé d'emblée avec The Dø, et caractérise en partie le son du groupe, plutôt qu'un
beat, c'est cette batterie, bavarde sans être virtuose. Comme sur "Playground Hustle" ou "Slippery Slope", tous deux présentés ici en vidéo. C'est souvent cette batterie qui donne à leur musique un son organique, charnel, là où tant d'autres se seraient contentés de mettre des boucles. A ce sujet, Dan Levy expliquait aux Inrocks, "je voulais plus de 'bas'. Plus de grosse caisse, plus de basses, des choses qu’on n’avait pas sur le premier parce qu’il avait été enregistré à l’arrache".


C'est un détail à mes yeux, j'ai oublié de préciser qu'il s'agit d'un groupe français mais qu'il chante en anglais. Quelle importance ? "Il faut perdre l'orgueil de la langue", comme l'écrivait Patrick Chamoiseau.

Alors que Both Ways Open Jaws vient juste de sortir, ils le jugent plus difficile d'accès que 
A Mouthful, qui rencontra un beau succès surprise, leur chanson "On My Shoulders" étant même utilisée dans une publicité. Pour les avoir découverts tous deux en même temps, je les appréhende encore comme un tout renfermant une grande variété d'influences et d'inspirations, tout en conservant une certaine homogénéité. Chez d'autres, cela pourrait passer pour brouillon, sans cohérence, ici, c'est le contraire, The Dø a trouvé ce que d'autres, toute leur carrière durant, s'échineront à chercher en vain, leur musique.


C'est donc à regrets que je raterai leur concert montpelliérain, d'autant qu'ils seront accompagnés d'un vrai groupe de six musiciens... Dommage, je ne verrai pas leur reprise du "Tightrope" de Janelle, interprétée dans une version très ralentie, comme qui dirait "sous Lexomil", mais qui, à sa façon très personnelle, retrouve sur la fin l'élan incroyable de l'original... Je ne pourrai pas m'exclamer "oh, la vache !" à la fin de "Slippery Slope", comme cette jeune femme qu'on entend dans cette captation du morceau au Trianon, il y a quelques jours, "oh, la vache, déjà sur l'album il est énorme ce morceau, mais alors là, putain ! Oh, la vache !"... Comme elle, je pense que j'aurais été très enthousiaste, tant pis. Peu de dates sont prévues pour présenter ce nouvel album. Bruxelles, Bourges, Laval... Et les Arènes de Nîmes en juillet pour ceux qui, comme moi, souhaiteraient profiter d'une session de rattrapage...

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