dimanche 19 décembre 2010

Le Top 9 du Dr. Funkathus

Pourquoi s'en priver, hein ? Moi aussi, je m'adonne allègrement au degré zéro de l'écriture (cf. le billet précédent) en proposant une... liste. Et en adoptant pour ce faire les pratiques électorales d'une république bananière à seules fins de choisir mes albums préférés de 2010. Serge Moscovici, dans ses écrits sur l'influence des minorités, rappelait que le processus démocratique commençait à partir de trois personnes, avec la possibilité d'une majorité et d'une minorité. Mais, franchement, c'est encore tout seul qu'elle marche le mieux la démocratie ! Parfois c'est déjà assez difficile de s'entendre avec soi-même, alors les autres, pfuhhh !

Inutile de faire durer plus longtemps ce suspense insoutenable, voici donc le palmarès 2010 du Dr. Funkathus...

1. Janelle Monáe, The ArchAndroid
2. Carlinhos Brown, Diminuto + Adobró
3. Gonjasufi, A Sufi and A Killer
4. Seu Jorge & Almaz
5. Galactic, Ya-Ka-May
6. Trombone Shorty, Backatown
7. Of Montreal, False Priest
8. Chucho Valdes, Chucho's Steps
9. Madlib, pour l'ensemble de son œuvre de 2010


1. Janelle Monáe, The ArchAndroid
Les trois premiers de ce classement ne souffrent aucune discussion. Ce sont clairement les albums qui m'ont le plus marqués en 2010. L'ordre n'a pas non plus connu trop d'hésitations. Janelle Monáe, avec The ArchAndroid, est même, à mon sens, hors-concours tant son talent est une évidence qui s'impose même aux observateurs distants. Reconnaissons que j'ai hésité un instant entre les albums de Carlinhos Brown et Gonjasufi pour savoir lequel mettre sur la deuxième marche. D'un côté, un nouveau venu sorti de nulle part ou vaguement du désert et dont l'album est un OVNI, de l'autre, un artiste confirmé qui signe son retour au premier plan, Carlinhos Brown. L'album de Janelle mérite une présentation plus précise, on y revient très vite... En attendant, les précédents messages lui étant consacrés, c'est (et aussi dans la barre de libellés)...

2. Carlinhos Brown, Diminuto
Même s'ils ne sont pas encore distribués chez nous, Carlinhos Brown a sorti deux albums en 2010, l'un d'entre eux, le plus ambitieux, était même offert en téléchargement gratuit pendant les premières semaines après sa sortie sur le site de son mécène, Natura. Brown est l'artiste le plus fréquemment évoqué dans les colonnes de l'Elixir, comme en témoigne la barre des libellés, à gauche de cette page. Il était évident qu'un nouvel album attire notre attention mais il l'était moins qu'il nous emballe autant. J'avais été en effet très déçu par son précédent, A Gente Ainda Não Sonhou et n'attendais pas grand-chose de son successeur. Je me suis trompé dans les grandes largeurs et c'est tant mieux car comme vous le savez peut-être, j'ai délaissé depuis une dizaine d'années la sociologie pour me consacrer exclusivement à la funkologie, y compris (ou en particulier) dans sa version pata-. Au sein de cette discipline en quête de reconnaissance académique, je me suis spécialisé dans une branche particulière, la brown-ologie. Au sein de cette branche, plusieurs sous-branches : la djémsienne, la ruthième, la chuquième, mais aussi la carlinienne. Celle qui nous concerne. Sans forfanterie, je me présente  donc à vous en tant que funkologue expert en brownologie-carlinienne. Vous avez déjà pu découvrir dans nos colonnes un certain nombre d'articles consacrés à Carlinhos Brown, dont une critique de Diminuto, l'album qui lui permet de figurer à la deuxième place de notre Top 10 annuel. Concernant Adobró, nous y reviendrons quand il en sera question de ce coté-ci de l'Atlantique et dédierons alors un nouveau cycle de messages à l'Ange-Conducteur de Bahia.


3. Gonjasufi, A Sufi and A Killer
Surgi de nulle part (même s'il avait déjà quelques enregistrements de rap confidentiels au compteur), Gonjasufi fait partie de ces artistes qui, dès les premières secondes d'écoute, provoque un choc. Un son si particulier, lo-fi, grésillant, une voix qu'on croirait de vieillard, nasillarde et geignarde, qui semble celle d'un spectre ancestral. Une façon de se mettre à nu, intense, presque gênante... Une expérience. Au départ, j'avoue avoir douté de la réalité de Gonjasufi, je me suis demandé s'il n'était pas un nouveau canular façon Clutchy Hopkins. Il s'est vite avéré que non, qu'il s'appelait en réalité Sumach Ecks, qu'il avait vécu en ermite dans le désert du Nevada, qu'il était mystique et prof de yoga (occasionnel). On a même pu lire de ci, de là, qu'il était une sorte de gourou : un vrai non-sens. Pour être gourou, il déjà être capable de s'occuper de soi, présenter un masque de certitudes, tout le contraire de Gonja qui semble tiraillé par le doute et trop instable. Une grande partie de son temps est dédié à l'éducation de ses enfants, une éducation parfois surprenante. "A un moment, je regardais La Mouche (version Cronenberg, ndla) en boucle et ça me faisait délirer grave. Je l'ai passé à mon fils. Ca lui a foutu une trouille d'enfer. Et je lui disais : 'assieds-toi et regarde ce putain de film avec moi, bro'. Ce film m'avait fait peur quand j'étais enfant, alors pourquoi est-ce que je ne lui ferais pas subir la même chose ?" Curieuse conception de l'éducation, où l'on juge bon de reproduire sur son fils les traumatismes de sa propre enfance. Et curieuse façon de s'adresser à son fils en lui donnant du "frère" (bro est la contraction de brother, ndla). Que celui qui n'a jamais fait d'erreur avec ses enfants lui jette la première pierre, ce n'est pas moi qui le ferai. Je ne suis pas de ces donneurs de leçon.

C'est un article consacré à Gonjasufi, "L'Agneau pascal selon Gonjasufi" qui est la page la plus visitée de ce blog. Il y est question de son morceau "Sheep" et personne ne m'a encore laissé de commentaires pour me signifier qu'en anglais, l'agneau se dit lamb et le mouton sheep. Mais pour un texte publié à Pâques, la tentation du jeu de mot était trop forte et invitait donc à l'approximation linguistique.


4. Seu Jorge & Almaz
Seu Jorge possède une voix incroyable. De Sam Cooke, on disait : "he could sing the telephone book", il pourrait même chanter l'annuaire téléphonique. On serait tenter de dire la même chose à propos de Seu Jorge. L'entendre interpréter un répertoire de choix, uniquement des reprises, est un plaisir qui ne se refuse pas : Jorge Ben, Michael Jackson, Roy Ayers, Tim Maia, Kraftwerk, Noriel Vilela, Nelson Cavaquinho... Bien sûr, on peut se demander si cela mérite de figurer dans une sélection des meilleurs albums de l'année. Mais pourquoi privilégier la composition à l'interprétation ? Ici, cette interprétation est l'œuvre de Seu Jorge donc, mais aussi de Lucio Maia (guitares) et Pupilo (batterie), membres de Nação Zumbi, et d'Antonio Pinto (basse). Le point de départ de ce projet remonte au moment où chacun des membres devait proposer aux autres un morceau qu'il aurait aimé écrire. Et le choix est un sans faute. En outre, sans que les titres choisis soient obscurs, c'est l'occasion de faire découvrir au public international un répertoire brésilien qui sort des sentiers battus et des standards de la bossa nova. Alors vaut-il mieux un album de mauvaises compositions ou de belles interprétations ? La seconde option, non ? Seu Jorge & Almaz sur l'Elixir...

5. Galactic, Ya-Ka-May et 6. Trombone Shorty, Backatown
Le funk de NOLA déboule en force dans notre classement avec deux albums, celui de Galactic et celui de Trombone Shorty. Les deux disques sont dans le même esprit, une sorte de formule gagnante, une mixture funk qui balance du groove avec un gros son rock. Si le talent de Troy Andrews, aka Trombone Shorty, est impressionnant quand on pense qu'il n'a que vingt-quatre ans, nous avons placé l'album de Galactic un rang plus haut pour sa dimension collective et fédératrice. Il serait trop facile de dénigrer Galactic en les taxant de backing-band, il s'agit effectivement d'un groupe instrumental. Un groupe qui invite de nombreux chanteurs et rappeurs à venir faire la fête : Allen Toussaint, Irma Thomas Big Chief Bo Dollis, les Sissy Bouncers Katey Red, Big Freedia et Sissy Nobby, sans oublier les jeunes Trombone Shorty et Glen David Andrews, ou la participation du Rebirth Brass Band, etc, etc... Le casting est impressionnant, rendant à la Nouvelle Orléans sa réputation créole de tolérance et de brassage, ici entre Noirs et Blancs, jeunes et vieux, hommes et femmes, hétéros et gays. Une bonne tambouille où se mêlent funk, fanfare, bounce, rock, à écouter sans modération jusqu'au bout de la nuit en poussant le volume. Une bonne tambouille puisque le ya-ka-may est une soupe roborative vendue dans les rues et qui a la réputation d'éponger les gueules de bois ! Quant au super-funk-rock de Trombone Shorty, là aussi, vous pouvez monter le son !

7. Of Montreal, False Priest
Ou le deuxième effet Janelle ! Alors que ce groupe originaire d'Athens, Géorgie, jouit d'un statut enviable, que False Priest est déjà leur dixième album, je n'ai même pas souvenir d'avoir lu une seule critique de l'album dans la presse spécialisée, uniquement sur quelques blogs. Certes, leur clip de "Coquet Coquette" a, paraît-il, provoqué un petit scandale, comme quoi il n'en faut pas beaucoup pour effaroucher certaines bonnes âmes ! J'avais écouté sans beaucoup d'attention quelques titres des deux précédents albums mais c'est avec celui-ci que j'ai vraiment découvert Of Montreal. Le déclic fut leur participation à l'album de Janelle Monáe sur le titre "make the Bus" où le duo de la miss et Kevin Barnes fonctionnait si bien qu'il déboucha sur deux autres titres. Sur l'album d'Of Montreal cette fois-ci. Autre invitée de Kevin Barnes et sa bande, Solange Knowles (oui, la sœur de Beyoncé) pour un "Sex Karma" dont le refrain "You look like a playground to me" tombe à point nommé pour rappeler que le sexe devrait toujours être "par surprise", avec l'imagination, dans l'inspiration du moment. Sur l'album je trouve en particulier irrésistible "Hydra Fancies" où Kevin Barnes se pose comme fils naturel et illégitime de David Bowie et George Clinton, comme si le P-Funk servait de bande-son à un opéra glam rock.

8. Chucho Valdes, Chucho's Steps



Cette liste n'est pas un classement de l'excellence musicienne, sinon Chucho Valdes y figurerait bien plus haut. Voici en effet un artiste en pleine maturité qui a atteint un niveau de maîtrise de son art absolument phénoménale, assortie d'une vision musicale qui lui permet de poursuivre et d'approfondir ses explorations et son élaboration d'un idiome particulier de jazz afro-cubain. Etourdissant.






9. Madlib, pour l'ensemble de son œuvre de 2010
L'ensemble de son œuvre ! Et c'est beaucoup de disques. Au moins 17 albums si je ne me suis pas trompé dans mes calculs ! Otis Jackson Jr. est prolifique et même plus que ça : c'est un dingue. Madlib mérite largement de faire partie de notre sélection même si je n'ai pas écouté en boucle ses albums, et d'ailleurs je n'en ai écouté qu'une petite partie. Et pour cause ! Rien que le Madlib Medicine Show compte douze albums, un par mois. Bon, il y a quand même un ou deux volumes de retard mais comment pourrait-il en être autrement. A travers Madlib, on apprécie la politique de Stones Throw, à la fois dans les choix artistiques mais aussi dans son approche esthétique des objets vinyls et CDs. Sans oublier que, pour un blogueur, leur site est une aubaine. Quant à Madlib, il contredit l'idée répandue qu'une consommation excessive de cannabis freine l'activité, tant on sait que l'homme part en immersion dans sa collection de vinyls, en une apnée prolongée par ses adjuvants fétiches, la weed et le café. Et le cognac ? Il en fait un usage très particulier dont je vous informe très prochainement...

Vous allez bien sûr me demander quel est le dixième sur la liste. Je l'ignore. Si cette liste s'arrête à neuf, ce n'est pas pour faire l'intéressant, c'est juste que j'hésite encore sur l'album manquant. J'hésite. Flying Lotus, The Roots avec ou sans John Legend, Aloe Blacc, Push Up, Baiana System, The Dead Weather, Blundetto, Moussu T (pour seulement quatre titres aux paroles si bien tournées), etc, etc... Une liste est par définition trop lapidaire, arbitraire. Je préfère l'idée de laisser la porte ouverte.

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