jeudi 17 juin 2010

L'Escale bahianaise enchantée de João Donato (4/4)

Si Carlinhos Brown incarne le funk bahianais débordant d'énergie et dégoulinant de sueur, vous pouvez aussi en chercher une autre variante qui serait, celle-ci, loose et nonchalante. Un funk qui cheminerait en toute décontraction, bien preguiçoso, paresseux, sans jamais perdre le fil du groove. Ce funk-là existe, il est magique. Je l'ai rencontré sur un album de João Donato, Lugar Comum.

Si le magazine Rolling Stone a classé A Bad Donato et Quem é Quem dans sa liste des 100 meilleurs disques jamais enregistrés, mon album préféré de João Donato est bel et bien celui-là. Et ce n'est pas en raison du morceau-titre, ce "Lugar Comum" dont la mélodie lui vient de l'enfance, de ce fameux jour où il s'assit au bord de la rivière et pleura d'émotion en découvrant pour la première fois de sa vie la mélancolie, et qui serait la véritable matrice de toute son œuvre.

Mais comment peut-on parler de funk bahianais s'il est l'œuvre d'un Acreano ? Tout simplement parce que Lugar Comum est, en quelque sorte, l'album bahianais de João Donato. A cette époque-là, dans la première moitié des années soixante-dix, João Donato était assez proche de nos chers tropicalistes. Il avait, par exemple, dirigé la tournée Cantar de Gal ou participé à l'album Qualquer Coisa de Caetano...

Lors de la récente réédition en CD de l'abum, il raconte comment il en vint à collaborer avec eux. Un jour qu'il rendit visite à Caetano, "tout le monde était là : Bethânia, Gal, Caetano avec Dedé et Moreno (...). Ils avaient mes deux disques Muito A Vontade et A Bossa Muito Moderna et je les provoquais toujours en les défiant de leur écrire des paroles. Alors que nous les écoutions, Gil improvisa sur la mélodie : "bananeira não sei / bananeira sei lá". Et alors j’ai répliqué : "quintal do seu olhar". Et lui: "olhar do coração". Cétait comme une partie de ping-pong". C'est ainsi qu'est né "Bananeira", titre qui deviendra un des plus célèbres de son auteur, repris quelque temps plus tard par Emilio Santiago, toujours avec Donato aux claviers.

Comme souvent, ce thème était un instrumental et changera de titre avec l'ajout des paroles. Celui-ci s'intitulait à l'origine "Villa Grazia", du nom d'une auberge dans la ville de Lucca, en Italie, où il accompagnait son double, l'autre João.

Gilberto Gil est le véritable partenaire de Donato sur cet album. Outre l'écriture des textes, on le retrouve à chanter sur trois morceaux, "Tudo bem", "A bruxa de mentira" et "Patumbalacundê".

Dans 100 Disco Fondamentais da Musica Popular Brasileira, Luiz Américo Lisboa Junior décrit ainsi l'effet que procure cette musique : "Ecouter "Ê menina" et "Lugar comum" est un plaisir si indescriptible qu'il ne peut se comparer qu'à la brise rafraîchissante sous le soleil et le bleu céleste d'une plage de Salvador, comme Piatã, Placafor ou Itapoã, on se laisse bercer par les plus purs sentiments de communion avec la Nature" ("um prazer tão indescritível que so se compara a uma brisa refrescante sob o sol e o azul celeste das praias de Salvador, como Piatã, Placafor ou Itapoã, deixando-se embalar nos mais puros sentimentos de comunhão com a natureza").

C'est pas magnifique Itapoã ?

L'album est également "bahianais" en raison des paroles, signées de Gil sur la plupart des titres, de Caetano ("Naturalmente"), Gutemberg Guarabyra ("Ê Menina"), ou Ruben Confete ("Xangô é de baê"). C'est Bahia qui donne le ton, c'est son ambiance qui imprègne Lugar Comum, lui confère sa saveur, son paladar. L'évocation de lieux, comme par exemple de l'île de Maré, dans la Baie de Tous les Saints, sur "Xangô é de baê", contribue à inscrire l'album dans son environnement .

Mais surtout, alors que ce sont des éléments totalement étrangers à un type venu du fin fond du pays, de l'Acre, on retrouve ici cette dimension particulière de spiritualité joyeuse propre à la culture bahianaise, ces traces toujours vives des cultures africaines et cette omniprésence des orixas : Oxalá, Xangô... Une ambiance soulignée par la musique des mots yoruba ou nagô, leurs accents circonflexes à gogo...

Nous le disions dans l'introduction de cette petite série consacrée à João Donato, la reprise d' "Emoriô" que viennent de proposer Sergio Mendes et Carlinhos Brown est un contresens total. Sauf le respect que l'on doit à Carlinhos Brown, disons-le clairement, c'est un truc de bourrin. Où est passée la grâce ? Où est passée la finesse et la douceur de l'original dans cette version pachydermique ? (Que les amis des éléphants ne s'offusquent pas : dans certains cas, ce serait une immense qualité qu'un funk soit ainsi qualifié de pachydermique, cela pourrait désigner un truc génial, porté par une basse bien lourde, avec un solo de trombone en guise de barrissement, vous voyez le genre... Sauf qu'ici ce n'est pas le cas, c'est juste lourd).

Dans sa version originale, comme l'écrit Luiz Américo Lisboa Junior, Bahianais lui-même : "Emoriô est le rythme bahianais en démonstration permanente de vigueur et d'authenticité. Qui donne envie de sortir en dansant et de se laisser envahir par le son de nos afoxés." ("é o ritmo baiano em permanente demonstração de vigor e autenticidade. Da vontade de sair dançando e se deixar envolver completamente pelo som dos nossos afoxés").

João Donato, "Emoriô", Lugar Comum (1975)






"ê-emoriô 
ê-emoriô

emoripaô
emoriô deve ser
 uma palavra nagô

uma palavra de amor
um paladar
emoriô deve ser
 alguma coisa de lá

o Sol, a Lua, o céu
 pra Oxalá
"

L'influence d'Oxalá, le swing toujours incomparable de João Donato, une basse qui met le funk : quelques ingrédients qui font un chef d'œuvre. S'il dit que sa musique doit avoir les vertus d'un baume, le Dr. Funkathus vous le prescrit en guise d'élixir. A consommer sans modération.

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