lundi 12 avril 2010

Sharon Jones, à la dure, à la longue, à l'ancienne

Sharon Jones & The Dap-Kings seront demain soir sur la scène du Trabendo, à Paris. Alors qu'ils viennent de sortir leur quatrième album, I Learned The Hard Way, un article du Village Voice , sorti la semaine dernière, dresse le portrait de cette diva soul quinquagénaire. Rappelons qu'en quelques années, le groupe de Brooklyn est devenu la référence suprême en matière de soul à l'ancienne. Avec eux, la presse a commencé à évoquer la retro soul, en opposition à la nu soul apparue quelques années plus tôt. Tout ça n'est qu'une tentative vaine pour mettre une étiquette sur une musique, en général réfutée par les artistes concernés. Comme le dit Neal Sugarman, pilier du groupe et du label Daptone, Sharon Jones et son groupe ne sont pas rétros, ils sont "romantiques".

Miss Jones a choisi un titre judicieux pour ce nouvel album : "j'ai appris à la dure". Car la reconnaissance dont elle bénéficie aujourd'hui avec son groupe s'est construit à l'ancienne. Avant de le récolter, ce succès, ils en ont semé les graines partout sur les routes de ce vaste monde. Et surtout, ces graines qu'ils ont planté sur leur passage, ils les ont arrosées d'hectolitres de sueur. Mouillant le maillot sur n'importe quelle scène pour se faire une réputation, là encore, à l'ancienne : par le bon vieux bouche-à-oreille et les recommandations enthousiastes des vrais amateurs de la chose funk à leurs amis. Alors, "à la dure" et "à l'ancienne", Sharon Jones & The Dap-Kings ont su tracer leur route vers une reconnaissance méritée.

Il y a encore trois ans, en 2007, Oliver Wang décrivait bien, sur son fameux site Soul Sides, cette différence de traitement dont Sharon Jones pouvait souffrir en comparaison du phénomène d'alors, Amy Winehouse. La comparaison s'imposait car la jeune Anglaise avait emprunté son groupe, les Dap-Kings, à Sharon Jones pour enregistrer Back To Black et les embauchant dans la foulée pour sa tournée.
"Would Winehouse seem as intriguing if not for her British + Whiteness? Coincidentally, I recently interviewed none other than Sharon Jones, who rightfully deserves recognition as the pioneering retro-soul singer for our era, and though she had nothing negative to say about the woman who's currently touring with the band she normally rocks with, Jones did note that she finds it disappointing that she's never enjoyed the same level of media attention as a lot of these new soul singers coming out of the UK (most of whom, notably, are young, handsome/pretty and White).
The fact that Jones is a Black woman in her 50s does make a difference here - in being seen as more authentic, she's also less a novelty (though her age does put her into a different generation entirely) and thus less likely to have a platoon of publications trying to profile her with the same fervor that Winehouse as enjoyed". (Il faut préciser qu'Oliver Wang écrivait cela avant que la notoriété d'Amy Winehouse explose pour des raisons extra-musicales et qu'elle devienne abonnée à la Une des tabloïds et soit traquée avec la même obstination sordide que Britney.)

Les choses n'ont pas toujours été simples pour Sharon Jones. Voyons justement ce que nous apprenait l'article du Village Voice. On y apprenait avec surprise qu'à 53 ans, elle habitait encore chez sa mère. Ou plutôt, qu'elle était retournée vivre chez elle, à la suite d'une rupture amoureuse. "But it's all for the better. I wouldn't be able to keep an apartment and travel and do what I do. And I wasn't seeing jack-crap in 2000. There was nothing, so thank God I was living with my mother". Dans l'article du Voice, on découvre également la liste de métiers improbables qu'elle a exercé avant de devenir chanteuse : vendeuse, gardienne de prison, assistante dentaire, vigile dans le quartier de Red Hook où, pour tromper l'ennui, elle dégommait les rats avec un pistolet à plombs... Tout ça après une brève carrière théâtrale off Broadway où sa vocation pour la scène était déjà évidente. Quant à la musique, c'est en chantant dans les mariages qu'elle a commencé à gagner ses premiers cachets. Précision : italiens, les mariages. "I was one of the first blacks to sing in an Italian wedding band. I started the trend. Right after that, when we started making money, bands started hiring black singers".

Aussi quand elle donne pour titre I Learned The Hard Way à ce quatrième album, on admettra bien volontiers qu'au niveau du vécu, ce choix n'a rien d'usurpé. Mais la roue tourne et pour Sharon Jones, la patience commence à payer. Depuis son précédent album 100 Days, 100 Nights, elle et les Dap-Kings commencent à voir leur réputation sortir du seul circuit des aficionados de soul et funk. Doit-on voir dans le prix des places pour leur concert du 13 avril, sur la scène du Trabendo, une conséquence de cette nouvelle notoriété. Les places sont à... aïe mamma mia ! 38 euros. Alors qu'il en coûtait quasiment deux fois moins pour les voir les années précédentes. Mais, malgré cette inflation, nul doute que les veinards qui seront dans la salle vont se régaler. Sharon Jones et les Dap-Kings sur scène ne font pas les choses à moitié. Ils la jouent à l'ancienne, à la dure.

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