mercredi 25 mars 2009

Requiem Sympho-Delic-Soul pour le Démiurge du Son Motown

(Hommage à Norman Whitfield)
GdF # 3.1 - Septembre 2008


Play-List
The Temptations, "Plastic Man",  Masterpiece (1973)
Gladys Knight & the Pips, "I Heard It Through The Grapevine", Everybody Needs Love (1967)
Marvin Gaye,  "I Heard It Through The Grapevine", In The Groove  (1968) 
Edwin Starr , "War", War & Peace (1970)
Edwin Starr, "You've Got My Soul On Fire"  (1973)
The Temptations, "I Can't Get Next To You", Puzzle People (1969)
The Temptations, "I Need You", 1990 (1973)
The Temptations, "Papa Was A Rolling Stone", All Directions (1972)
The Temptations, "1990", 1990 (1973)
The Undisputed Truth, "Ball of Confusion", The Undisputed Truth (1971)
The Temptations, "Hurry Tomorrow", Masterpiece (1973)
The Temptations, "Let Your Hair Down", 1990 (1973)
The Jackson 5, "Hum Along and Dance", Get It Together (1973)
The Undisputed Truth, "Tazmanian Monster", Smokin'  (1979)
Rose Royce, "Car Wash", Car Wash (1976)
Dorival Caymmi, "É Doce Morrer no Mar", Canções Praieiras (1954)
Dorothy Ashby, "The Moving Finger", The Rubaiyat Of Dorothy Ashby (1970)

Bonsoir, pour sa rentrée, Goutte de Funk va se consacrer presque exclusivement à l'inventeur de la psychedelic soul au sein du label Tamla Motown : Norman Whitfield.

Dans cette nouvelle grille des programmes divergente, Goutte de Funk s'allonge d'une demi-heure et glisse un peu plus vers le nocturne, ce qui est tout à fait pour nous réjouir, le moment étant le plus propice aux bonnes vibrations de ce calibre. Sans aller jusqu'à évoquer le "régime nocturne", cher à l'anthropologue Gilbert Durand, on avancera que si les vertus curatives de la Goutte de Funk sont tout aussi actives en début de matinée, pour prévenir les attaques au moral risquant de survenir plus tard dans la journée, pour moi, humble Dr. Funkathus, il est infiniment plus délicat d'être dans la bonne disposition d'esprit pour pratiquer ce type d'intervention aux aurores (à moins de retourner me coucher quelque temps après)...

Et que nous réserve aujourd'hui cette rentrée radiophonique ? Encore une fois, Goutte de Funk va se consacrer à un hommage à quelques géants venant de nous quitter ces dernières semaines. L'émission se veut pourtant de bonne humeur et ne demanderait finalement qu'à débiter ses élucubrations sans conséquences entre deux bonnes tranches de groove, mais les nécros s'accumulent comme le calcaire au fond de ma cafetière. C'est un peu inévitable, me direz-vous, le funk ayant fêté ses 40 ans en 2007, ses légendes vivantes commencent à se faire rare. 

Derniers membres en date du Funkin' in Heaven and Hell All-Stars Club, pas des moindres : Isaac Hayes, le 10 août, et Norman Whitfield, le 16 septembre. C'est à l'œuvre de ce dernier nous allons accorder la majeure partie de cette émission de rentrée sur Divergence-FM.

La presse a assez largement repris l'information et consacré des hommages qui, pour brefs et médiocres qu'ils soient, témoignaient néanmoins de l'importance de ces artistes. Ainsi, eu égard à l'immense carrière d'Isaac Hayes comme musicien, il m'a semblé disproportionné, dans des articles aussi courts, d'accorder autant de place à ses activités de "doubleur" dans South Park. La portion était encore plus congrue pour Norman Whitfield. Et, pire encore, nulle part je n'ai vu annoncé le décès de Dorival Caymmi, le 16 août dernier. Outre la vibrante évocation que nous lui réserverons dans quelques instants, je suis certain que, sur nos ondes, Araponga rendra à Caymmi l'hommage qui lui est du.

Nous reviendrons dans une prochaine émission sur Isaac Hayes, histoire de célébrer le tranquille basculement de Goutte de Funk vers cet horaire plus tardif, histoire de fêter la nuit et ses nourritures terrestres avec la musique d'Isaac Hayes. Mais ce soir, nous consacrons le Gros Morceau, ce qui pourrait devenir le titre d'une rubrique, à Norman Whitfield.

Norman Whitfield, "qui ça ?". C'est malheureusement ce que demanderait la majorité de nos concitoyens. Si mon élan quantitativo-positiviste avait du temps à perdre, il bloquerait les issues de la rue de la Loge, entre la Comédie et la place Jaurès, délimiterait un tronçon de plage à Palavas, renouvellerait l'expérience en mille autres lieux, et interrogerait les gens pris dans les mailles pour, j'en suis persuadé, invariablement obtenir les mêmes résultats, désolants quant à la culture musicale de nos compatriotes : si sur ces échantillons, pris au hasard, un seul petit % connaissait Norman Whitfield, je serais soulagé et pourtant, je doute même que cela soit le cas...

Eh oui, c'est dur d'être un démiurge plutôt qu'un frontman à minettes... Ce soir, nous allons donc, modestement, contribuer à réparer cette injustice et rendre à cet impérial producteur ce qui lui revient.

Régulièrement, depuis des années, je m'interrogeais : comment se fait-il qu'aucun artiste de la nouvelle génération n'ait été déloger la légende Norman Whitfield de sa retraite. Je restais persuadé que son sens visionnaire des architectures musicales saurait donner un relief inédit au travail de ses jeunes contemporains. J'étais alors certain qu'il aurait bénéficié, pour l'occasion, d'une couverture médiatique digne de ce nom, qu'il aurait été re-découvert et aurait coulé ses vieux jours auréolé d'une gloire tardive auprès du grand public. Hélas, cela ne sera pas. Il ne nous reste donc que la rétrospective pour l'évoquer ici. Quant à la gloire, nulle inquiétude, les amateurs de la chose funk et soul l'ont depuis longtemps accueilli dans leur sanctuaire et l'Histoire, quant à elle, sait reconnaître ceux qui laissent une trace plus profonde qu'une crotte de lapin. Et sa place dans l'Histoire est majeure, rien moins que l'invention du son de la Tamla-Motown deuxième période, la Motown 2.0 comme on dirait maintenant, à savoir la psychedelic soul, une façon bien à lui de le remettre en prise avec son temps.

Né en 1940, Norman Whitfield est décédé le 16 septembre 2008, de complications liées au diabète. Une maladie dont Nick Tosches, qui en souffre lui-même, prophétisait qu'aux Etats-Unis, elle allait devenir un fléau plus meurtrier encore que le sida. Natif de New York, le jeune Norman suit sa famille à Détroit, Michigan. Présent quasiment depuis les débuts de la Motown, il fut repéré dès ses 19 ans pour sa détermination à intégrer le label par son fondateur, Berry Gordy, et en a gravi les échelons avant d'en devenir une des personnalités les plus influentes. 

Otis Williams, une des voix des Temptations, le connaissait déjà avant la Motown et racontait qu'il produisait un effet certain sur la gente féminine : "You know Norman and I go back even further than Motown, because I first got to know Norman back in 1958 when he was with Popcorn Wylie and the Mohawks. I tell you, even back then he stood out in the crowd. We'd play these dates and I'd watch the women watching him, going 'Oh my God, look at the light skinned one on the end' and the girls were going ga-ga over him even then!" Dans la logique de division du travail qui caractérise le label, il est embauché pour participer à l'écriture des chansons. Il appartient également au Service Qualité qui sélectionne les morceaux qui seront publiés. Il connaissait donc déjà tous les rouages du label avant d'y acquérir le rôle éminent que l'on va évoquer ce soir.

"I Heard It Through the Grapevine" en vagues successives...
Norman Whitfield avait beau faire partie de l'équipe du Quality Control, ce n'est pas pour autant qu'il avait "carte blanche" pour choisir les morceaux qui devaient sortir en singles. Les péripéties liées à ce qui allait devenir un titre-phare de l'aventure Motown, "I Heard It Through the Grapevine", sont révélatrices de l'obstination de Whitfield mais aussi du mode de fonctionnement du label. Les réunions du Quality Control avaient lieu tous les vendredis matins pour décider des sorties de la semaine suivante. Les choix se faisaient par un vote tout ce qu'il y a de démocratique. Certains étaient bien sûr plus égaux que d'autres. Au moins concernant Berry Gordy qui, lui, possédait un droit de veto.

Avant de devenir un tube interprété par Gladys Knight & The Pips, le titre subit trois rebuffades. Norman Whitfield, qui avait écrit le morceau avec Barrett Strong, était convaincu de son potentiel commercial. Il en enregistra une première version, interprétée par Smokey Robinson & The Miracles. Elle ne passa pas le cap du Quality Control. Cela ne fit pas baisser les bras à notre homme. Il embaucha alors les Isley Brothers pour un nouvel enregistrement qui... connut le même sort que le premier. D'autres auraient certainement baissé les bras, pas lui, toujours persuadé de tenir là un hit en puissance. Il la proposa cette fois-ci à Marvin Gaye et choisit d'en ralentir la cadence. Berry Gordy n'était toujours pas convaincu.

Pas démonté, animé de la même conviction, Norman Whitfield en enregistra alors une quatrième version, interprétée cette fois-ci par Gladys Knight & The Pips, des "seconds couteaux" de la Motown, originaires d'Atlanta, toujours au cours de l'année 1967. Il leur accorda quelques semaines pour parfaire leurs arrangements vocaux, après que Marvin Gaye ait quand même passé deux mois sur la sienne, ce qui témoigne si besoin est du soin apporté à la production. La version cette fois-ci uptempo pouvait sonner assez "sudiste", inspirée notamment par le "Respect" d'Aretha Franklin... Ca y est, cette fois-ci, c'était la bonne. Et encore, ce ne fut pas sans mal que Gordy céda. En effet, selon l'article Wikipédia consacré à cette chanson, Norman Whitfield dut prendre Berry Gordy entre quatre yeux et le "séquestrer" pour lui faire écouter cette dernière mouture. (Cette émission ayant été diffusée en septembre, en en reprenant aujourd'hui le texte, je ne peux qu'être frappé par le parallèle avec l'actualité récente, qui abonde de cadres dirigeants séquestrés par leurs employés touchés par des plans sociaux. Mais j'ignore bien si Berry Gordy le fut au sens propre par Norman Whitfield. Auquel cas, on conseillera à tous les travailleurs tentés par la perspective de faire subir pareil sort à leur patron, de se démarquer des paroles d'un autre tube composé par Norman Whitfield : "Ain't Too Proud to Beg" !). 

Quoi qu'il en soit, si le titre bénéficia d'une sortie en 45 tours, cela fut sans gros effort promotionnel. Les Pips durent s'appuyer sur leur réseau de disc-jockeys amis de par le pays pour obtenir que le disque soit diffusé sur les radios. Avec succès, puisque le morceau grimpa jusqu'au n°1 des charts R&B, le 25 novembre 1967 et devint en quelques semaines le single le plus vendu par Motown à ce jour.

Cela ne suffisait pas encore à Norman Whitfield. In extremis, il obtint que la version de Marvin Gaye sur son nouvel album, In The Groove. Et ce fut "I Heard It..." qui fut le plus diffusé par les disc-jockeys, plutôt que le single officiel de l'album, "You". Si le flair artistique de Berry Gordy fut pris à défaut sur ce coup-là, il n'en fut pas de même de son sens des affaires. Aussi la sortie en single fut-elle décidée. La version de Marvin Gaye devint donc, à son tour, après celles des Pips, n°1 des charts R&B et disque Motown le plus vendu (détrôné plus tard par le "I'll Be There" des Jackson 5).

Bien des années plus tard, félicité pour le son "révolutionnaire" de ce morceau, comparé à du "vaudou moderne" lors d'une interview, le journaliste lui demanda s'il avait eu l'impression de créer quelque chose de très particulier. Marvin Gaye eut l'honnêteté de reconnaître qu'il n'y était pour rien : "J'étais trop jeune pour réagir ainsi et je ne me considérais pas encore comme un artiste. Je me contentais de faire tout mon possible pour qu'on puisse tirer quelque chose des chansons que j'interprétais, pour qu'on puisse en faire des disques. J'étais en studio avec Norman Whitfield, un producteur très doué qui travaillait aussi avec les Temptations à l'époque. Il m'a montré une voie que je croyais adéquate et je me suis lancé" (Les Inrockuptibles n° 25, 1990).

Et, bien sûr, dans toutes ces versions, ce sont les Funk Brothers qui jouent derrière !

Motown et le nouvel esprit du temps
Un signe de l'importance que prit Norman Whitfield au sein de la Motown s'illustre par le fait qu'il prit les rennes des Temptations, qui étaient la plus belle vitrine du label, sa garantie d'excellence absolue. Le brain en plus, c'est un peu comme quand on dit de Ribéry qu'on lui "a donné les clés de l'équipe de France", Berry Gordy avait donné à Norman Whitfield les clés des Temptations, et par extension la direction artistique du label.

La ligne claire qui avait imposé le succès commercial du label commençait à apparaître un peu trop aseptisée au regard de l'agitation de ces années-là : James Brown inventait le funk stricto sensu et balançait ses morceaux comme autant de bâtons de dynamite, Jimi Hendrix révolutionnait le language de la guitare et se voyait adulé par un public rock et blanc, Sly osait un hybride de soul et de rock pour inventer son funk nerveux, sans parler de la bande de déjantés menés par George Clinton qui avaient abandonné le doo wop pour le funk psychédélique, embarqués dans un gros trip d'acide. La Motown avait pris un sacré coup de vieux. Il fallait la remettre en prise avec le zeitgeist de ces années d'effervescence. La tache fut principalement confiée à Norman Whitfield. Et c'est dans le rôle de producteur qu'il put s'épanouir et rayonner. Il ne se contenta pas de suivre le goût du jour, il imposa sa vision. 

Norman Whitfield et son compère parolier Barrett Strong furent une des paires de compositeurs les plus inspirés de la Tamla Motown. On leur doit l'ouverture du label sur des thèmes plus sociaux et politiques. Mais le duo savait aussi trousser des love songs qui ne reculait pas devant l'hyperbole. Ainsi ce "You've got my soul on fire", ici interprété par un Edwin Starr au bord de l'apoplexie. Et que dire de ce "Can't get next to you" : "je peux bâtir un château à partir d'un seul grain de sable, je peux faire naviguer un bâteau sur la terre ferme mais ma vie n'est pas complète si je ne peux être près de toi".

C'est cependant par son ouverture sur des thèmes en prise avec les changements sociaux que la paire Whitfield/Strong parvint à être en résonance avec le climat de l'époque. Encore aujourd'hui, certains de ces refrains gardent toute leur acuité. "War", l'hymne pacifiste en réaction à la guerre du Vietnam, interprété par Edwin Starr, est un titre qui aurait pu prendre un sérieux tour d'actualité ces derniers mois. Heureusement, si le gouvernement américain s'apprête à verser 700 milliards de $ dans son système bancaire, cela laissera moins de marge aux projets belliqueux. On doit en faire péter le Champomy du côté de Téhéran.

Les tensions raciales sont évoquées sans tabou, mais toujours avec la volonté de cross-over qui caractérise l'aventure Motown depuis ses origines, comme l'illustre les paroles de "Message From a Black Man", composé pour les Temptations :

"No matter how hard you try
You can't stop me now
No matter how hard you try
You can't stop me now
Yes, my skin is black
But that's no reason to hold me back
Oh think about it, think about it,
Think about it, think about it
Think about it, think about it, think about it.

I have wants and desires just like you
So move on aside cause i'm a-comin' through
Oh no matter how hard you try you can't
Stop me now
No matter how hard you try you can't stop me now.

Yes, your skin is white
Does that make you right
Walk on and think about it, think about it
Think about it, think about it
Think about it, think about it, think about it.

This is a message, a message to y'all
Together we stand divided we fall
Black is a color just like white
Tell me how can a color determine whether
You're wrong or right
We all have our faults yes we do
So look in your mirror (Look in the mirror)
What do you see? (What do you see?)
Two eyes, a nose and a mouth just like me.

Oh your eyes are open but you refuse to see
The laws of society were made for both
You and me
Because of my color I struggle to be free
Sticks and stones may break my bones
But in the end you're gonna see my friend

Say it … (No matter how hard you try you can't stop me now)
Say it … (No matter how hard you try you can't stop me now)
Say it loud! I’m Black and I’m Proud!
(No matter how you can’t stop me now.)
Say it loud! I’m Black and I’m Proud!
(No matter how you can’t stop me now.
)"

Qui a dit qu'une pop song n'avait rien à dire ? Parvenir à faire un tube d'une chanson qui décrit les structures familiales mises à mal par l'absence du père est, reconnaissons-le, sacrément osé (surtout quand l'intro instrumentale s'éternise plus de 4 minutes avant que les voix n'entrent en scène). Car c'est bien cela le sujet de "Papa was a Rolling Stone". La démission paternelle n'est pas propre aux familles noires américaines, comme l'ont montré les travaux de l'anthropologue Oscar Lewis, mais elle est inscrite ici dans ce contexte particulier à travers la figure emblématique du rolling stone, vagabond, magnifique ou complètement paumé selon le point de vue, buveur et coureur de jupons. La chanson raconte les interrogations d'un jeune garçon concernant cette figure paternelle qu'il ne connaît que par les rumeurs négatives circulant sur son compte et qui somme sa mère de lui dire la vérité sur cet homme. 


"It was the third of September.
That day I'll always remember, yes I will.
'Cause that was the day that my daddy died.
I never got a chance to see him.
Never heard nothing but bad things about him.
Mama, I'm depending on you, tell me the truth.

And Mama just hung her head and said,
"Son, Papa was a rolling stone.
Wherever he laid his hat was his home.
(And when he died) All he left us was ALONE."
"Papa was a rolling stone, my son.
Wherever he laid his hat was his home.
(And when he died) All he left us was ALONE."

Well, well.

Hey Mama, is it true what they say,
that Papa never worked a day in his life?
And Mama, bad talk going around town
saying that Papa had three outside children and another wife.
And that ain't right.
HEARD SOME talk about Papa doing some store front preaching.
TalkIN about saving souls and all the time leeching.
Dealing in debt and stealing in the name of the Lord.

Mama just hung her head and said,
"Papa was a rolling stone, my son.
Wherever he laid his hat was his home.
(And when he died) All he left us was ALONE."
"Hey, Papa was a rolling stone.
Wherever he laid his hat was his home.
(And when he died) All he left us was ALONE."

Hey Mama, I heard Papa call himself a jack of all trade.
Tell me is that what sent Papa to an early grave?
Folk say Papa would beg, borrow, steal to pay his bill.
Hey Mama, folk say that Papa was never much on thinking.
Spent most of his time chasing women and drinking.
Mama, I'm depending on you to tell me the truth. Mama looked up with a tear in her eye and said,
"Son, Papa was a rolling stone. (Well, well, well, well)
Wherever he laid his hat was his home.
(And when he died) All he left us was ALONE."
"Papa was a rolling stone.
Wherever he laid his hat was his home.
(And when he died) All he left us was ALONE."

"I said, Papa was a rolling stone. Wherever he laid his hat was his home.
(And when he died) All he left us was ALONE.
"

Nous pourrions multiplier les exemples de chansons où critique sociale et justesse sociologique s'expriment sous forme de portraits sans fards de l'Amérique noire. On n'oubliera pas de dire : "Merci Barrett". En effet, l'apport de Barrett Strong est primordial dans cette longue série de chefs d'œuvre composé par le duo, car c'est bel et bien lui qui écrivait les paroles. 

L'Ambition du grand-œuvre
Mais, outre les thèmes abordés, Norman Whitfield se chargea de faire exploser le carcan Motown par des architectures sonores toujours plus ambitieuses. Les morceaux acquirent des longueurs inhabituelles, fréquemment autour d'une dizaine de minutes. Les arrangements sollicitaient aussi bien des sections de cordes que des percussions, voire des boîtes à rythmes, ce qui au début des années 70 était carrément novateur, tandis que de nouveaux guitaristes comme Dennis Coffey ou Melvin Ragin initiaient le son Motown aux délices furieux de la pédale wah wah. Le tout sonnait à la fois plus funk et psyché, d'où le terme psychedelic soul qui allait désormais coller au travail de Norman Whitfield. Personnellement, je préférerais que l'on parle de Symphodelic Soul car il traduit l'ambition de notre homme. En effet, Whitfield travaillait à son grand-œuvre, peaufinant ses compositions en les faisant enregistrer par différents interprètes, comme nous l'avons déjà expliquer à travers l'exemple du morceau "I Heard it Through the Grapevine". A ce titre, rien n'est plus révélateur de cette démarche que son travail avec le trio The Undisputed Truth. Composé à l'origine de Joe Harris, Billie Rae Calvin et Brenda Joyce, le groupe est monté de toutes pièces par Whitfield. N'ayant pas la notoriété des Tempts, il a les mains libres pour expérimenter avec eux son répertoire. Il est en effet très frappant de constater que celui-ci est quasiment le même que celui de leurs glorieux partenaires de label : "Papa was a Rolling Stone", "Ball of Confusion", "Smiling Faces...". Ce qu'enregistrait les Temptations était donc interprété également par The Undisputed Truth. Là où l'on trouvait une certaine similarité entre les versions, on serait alors tenté de parler d'esquisse, de brouillon. Sinon, d'expérimentations, de recherches...

Parce que les Temptations étaient le groupe-phare de la Motown, c'est par le biais de leur collaboration que les productions de Norman Whitfield firent vite autorité. C'est une dizaine d'albums qu'il réalisa pour le groupe entre With a Lot O' Soul, en 1967, et 1990, en 1973. Les Temptations abandonnèrent vite leurs costumes pour des chemises à fleurs, chaque membre du groupe pouvant se distinguer et n'étant plus tenu de porter la même tenue uniforme que ses partenaires. Tous, par contre arboraient, désormais une coupe afro du meilleur effet.
La photo ci-contre date de 1973. Elle est extraite du verso de la pochette  de Masterpiece et elle illustre un point de non-retour. Le groupe vécut très mal le fait que leur producteur apparaisse plus gros qu'eux sur la photo. Nous disions que Norman Whitfield était cantonné, de par son rôle, à être un homme de l'ombre. Cela ne l'empêchait pas d'avoir une haute idée de son rôle et de grandes ambitions quant à son travail. La photo est une belle métaphore du démiurge qui tient sa créature dans son esprit.

Interrogé en 2001, Otis Williams, un des membres d'origine du groupe, avait toujours quelque mal à digérer la chose et en garde une certaine rancœur : "Vous parlez de quelqu'un qui voulait tout contrôler et qui se comportait de façon quasiment dictatoriale en studio, avec des idées arrêtées, très rigides, sur ce qu'il voulait. A l'époque de Masterpiece, on a commencé à se sentir comme Norman Whitfield & The Temptations, comme si notre travail sur l'album n'était qu'un ajout. Ca vous donne une idée de l'ego du gars, que sa photo soit plus grosse que la nôtre !" ("You are talking about a man who was into control and almost dictatorial in the studio, with very rigid ideas about what he wanted and how he went about getting it. (...) It was about that time that we began to see ourselves as Norman Whitfield and the Temptations, that our work on the album was almost an afterthought. It gives you an idea of the ego of the man that his image should be bigger than ours, but as I said earlier we had a tremendous run of success with Norman and I'm not about to knock that"). 

Ayant quitté la Motown quand le succès commençait à le fuir, Norman Whitfield monta son prore label, Whitfield Records, en 1973, afin de poursuivre ses expériences soniques. Il entraîna donc sa créature (The Undisputed Truth) dans l'aventure, mais aussi Edwin Starr, Junior Walker ou Rose Royce. Du son sympho-delic qui fit sa renommée, il glissa plus avant vers le funk et le boogie dans sa version modernisée disco.
Déjà, cette même année, alors qu'il était encore sous contrat avec le label de Berry Gordy, il signa deux titres de l'album G.I.T. (Get It Together) des Jackson 5. Deux titres à rallonge comme il savait si bien en produire : "Mama I Got A Brand New Thing (Don't Say No)" et "Hum Along and Dance". Pour ce dernier titre, emmené par les lead-vocals de Jackie et Tito, on a droit à 8 minutes 38 de pure folie où la batterie marque le break et reste omniprésente : pas de la gnognotte sirupeuse, du gros funk qui déchire.

S'il grapilla encore quelques hits de ci, de là, les années 70 post-Motown demeure la partie de son œuvre qui est la moins connue. Certes, il n'invente plus le son qui caractérise son époque, il n'est plus celui qui sait "what time it is", mais pourtant, les amateurs de funk peuvent continuer à s'abreuver jusqu'à plus soif dans ses productions d'alors tant leur groove reste infaillible. On illustrera ce soir cette période par le terrible "Tazmanian Monster" (quel titre !?), interprété par ses fidèles Undisputed Truth, mais aussi par le célèbre "Car Wash" de Rose Royce. Le titre fait partie de la B.O. du film éponyme. Est-ce sa dernière véritable heure de gloire ? En tout cas, en 1977, le film était en compétition au Festival de Cannes et Norman Whitfield reçut à cette occasion le Prix de la Meilleure Participation Musicale. A-t-il foulé le tapis rouge et monté les marches, je l'ignore mais nous resterons sur cette image plutôt que d'évoquer ses démêlés avec le fisc... Et l'on continuera de rêver à ce qu'il aurait pu réaliser comme architecture sonore, qui soit plus qu'un simple écrin, pour la voix de nos interprètes contemporains. Est-il idiot de se dire qu'un album de, au hasard, Erykah Badu produit par Norman Whitfield, ça aurait pu avoir de la gueule ?


Dorival Caymmi, son esprit flotte encore au bord de nos rivages

Ici même, bien que sa musique soit pourtant à mille lieues du funk, nous souhaitons vivement rendre un hommage à Dorival Caymmi, tant il occupait une place si particulière dans le cercle très restreint de mon Panthéon personnel. L'œuvre de Caymmi est fondatrice d'une partie de la musique brésilienne contemporaine, bahianaise en particulier. João Gilberto le citait comme sa référence absolue, plus importante encore que celle de Jobim, dont il aura pourtant donné aux chansons les traits qui traverseront les époques. Bahianais comme lui, il retrouve derrière sa trompeuse simplicité, l'identité de son peuple. Caymmi, l'homme, sous ses airs débonnaires, sa réputation de paresseux, était un sage. Bahianais, installé depuis les années quarante à Rio, il a su donner de "son peuple", le portrait le plus touchant, avec le même amour que son grand ami le romancier Jorge Amado. De son vivant, il avait déjà une place à son nom dans le village de pêcheurs d'Itapoã, en bordure de Salvador, tant il a littéralement immortalisé son ambiance, la rudesse de la vie de ses hommes de la mer dans son album Canções Praieiras. Itapoã, d'où l'on voit encore les plus rudimentaires des jangadas partir en mer. Caymmi, pourtant, la mer il l'admirait par la contemplation avant tout, d'ailleurs il ne savait même pas nager.



Mais si nous ressentons, le besoin de lui rendre hommage, c'est aussi que son esprit nous a visité. Cet été, j'eus un jour la soudaine et irrépressible impulsion d'écouter quelques unes de ses chansons, ce que je n'avais pas fait depuis plusieurs mois. Il s'agissait justement des Canções Praieiras qui me touchèrent alors en cet instant avec une forte émotion. En particulier, "E Doce morrer no mar" ("il est bon de mourir en mer"). Le lendemain matin, j'appris qu'il venait de mourir la veille, à 94 ans. L'esprit de cet homme était si fort, que dans ses derniers souffles, il circula ainsi jusqu'à nous. Ce fut une impression troublante. A posteriori bien sûr. Pour finir l'histoire, quelques jours après, j'appris que Stela Maris, sa femme depuis 1939, venait également de s'éteindre, exactement une semaine plus tard.

Dorival Caymmi ne composa en tout et pour tout qu'une centaine de chansons de toute sa vie. Mais nombre d'entre elles sont devenues des standards que, comme c'est souvent le cas, vous connaissez peut-être sans en savoir l'origine ni l'auteur. Il en va ainsi de l' "âme des poètes" qui pourtant nous accompagne par-delà les ans.

Introuvable autrement que par compilations interposées, ou interprétée par d'autres artistes (à moins d'aller fouiner sur Loronix), sa discographie sera enfin ré-édité, par le biais d'un de ces mécénats si répandus au Brésil. Cette fois-ci, c'est la marque de cosmétiques Natura qui, par le biais de son projet richement doté, Natura Musica, s'y colle. L'autre volet majeur du programme est une nouveauté, au milieu de toutes ces commémorations : le premier album studio de Lenine depuis 6 ans, Labiata. On connaissait l'auteur-compositeur, l'interprète, on découvre aujourd'hui l' "orquidólatra", tel que lui-même s'auto-définit, puisque la labiata qui donne son titre à l'album est le nom d'une variété d'orchidée. "C'est une fleur d'une grande adaptabilité, elle peut être cultivée aussi en altitude qu'en plaine. C'est une fleur délicate mais très robuste et résistante. Elle est comme la musique brésilienne, elle ne meurt jamais", raconte un Lenine très en verve sur le sujet. Car notre "orchidolâtre" écolo en cultive lui-même une grande variété dans sa serre. 




Les goûts musicaux, le profil psychologique et le vin

Pour finir, nous allons faire un test : exceptionnellement, nous allons trinquer à distance. D'habitude, à Divergence, il y a toujours au moins une bouteille de vin entamée qui traîne, ou un vieux cubi. Car, en effet, pour que cette expérience soit une réussite, il importe que le vin ne soit pas d'une qualité extraordinaire, point besoin d'un grand cru. Un vin ordinaire, un bon petit vin de table correct comme nous avons la chance d'en trouver si nombreux dans la région, fera l'affaire. Un test point trop onéreux, donc...

Vous avez peut-être lu de brefs compte-rendus d'une étude d'Adrian North, chercheur de l'Université Heriot-Watt d'Edimbourg, sur les rapports entre la personnalité et les goûts musicaux. L'étude, pour qu'elle puisse prétendre à une quelconque pertinence, avait fait les choses en grand et North avait donc interrogé plus de 36 000 personnes (36518 pour être précis) sur leurs goûts musicaux (à choisir parmi 104 genres différents, pour être précis). Vous-même pouvez y participer en vous rendant sur son site (www.peopleintomusic.com). Libé avait ainsi titré son article "Les Fans de metal sont des êtres très délicats". Je ne connais pas ce qu' Adrian North a constaté de la personnalité des amateurs de funk, par contre, sachez que, selon le résumé de L'Express, les amateurs de soul "décrochent le jackpot: ils sont, selon l'étude, créatifs, extravertis, doux, bien dans leur peau et ont une bonne estime d'eux-mêmes". Ravi de l'apprendre.

Une des grandes conclusions de cette recherche serait : à travers la musique choisie, on cherche à dire au monde quelque chose sur soi. Bel effort, la souris ainsi accouchée se porte bien. Son géniteur aussi puisque Adrian North a également réalisé une autre étude sur l'influence de la musique : comment elle change la perception que l'on peut avoir d'un vin. Réalisée à une plus petite échelle (environ 250 personnes), elle ne possède aucune valeur scientifique mais fut commandée par la marque de vins chilienne Montes, probablement une de ces entreprises dont Jonathan Nossiter dénonce le goût facile et "mondialisé".

Nous en prendrons néanmoins prétexte pour trinquer à cette nouvelle année de Goutte de Funk. Nous choisirons pour le test de cette dégustation un titre de Dorothy Ashby. La harpiste de jazz a consacré, en 1970, un étonnant album aux Rubbâ'iyat d'Omar Khayyâm (1048-1131), l'ode au vin du grand poète persan. Outre la harpe, elle joue aussi du koto sur ce disque et le fait groover comme personne.

Quittons-nous donc sur un de ces avisés quatrains du vieux sage Khayyâm :

"Ô toi qui ne bois pas de vin, ne blâme pas ceux qui s'enivrent
Entre l'orgueil et l'imposture, pourquoi vouloir tricher sans fin ?
Tu ne bois pas, et puis après ? Ne sois pas fier de l'abstinence
et regarde en toi tes péchés. Ils sont bien pires que le vin."


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